lundi 16 juillet 2012

Etape du Tour 2012, Pau Luchon : récit


Et voila, c’est fait. Ma 3e étape du tour en 3 ans, et de loin la plus dure. 





Le profil d’abord : 4 cols enchainés dont 2 hors catégories en apéritif, l’Aubisque (17 km) et le Tourmalet (19,5 km) et deux 1ere catégorie en dessert, l’Aspin (12 km, mais seulement les 5 derniers de durs) et le Peyressourde (9km). En tout, plus de 60 km d’ascension et 5000m de dénivelé en comptant les différents faux plats et petites côtes qui jalonnaient le parcours. La longueur ensuite, 201 km ce n’est quand même pas rien sur un vélo, surtout avec un tel profil. 


Enfin, comme si ce n’était pas suffisant, le ciel a pris un malin plaisir à jouer avec les 8000 cyclistes qui étaient au départ. On aurait pu avoir comme parfois en Béarn un bon cagnard à faire fondre l’asphalte et à assécher les organismes mais c’est la fraicheur et la pluie qui se sont invitées à la fête, comme très souvent dans les Pyrénées en cette saison. Le ciel avait en effet délégué tout ce qu’il compte de nuage, brouillard, crachin, pluie et froid pour calmer les ardeurs des plus téméraires. Il fallait voir tous ces gars transis de froid, bleus, claquant des dents au bas de la descente du Tourmalet pour toucher un peu du doigt l’épreuve que cela a pu être pour certains. Et encore, une chance car Eole était avec nous, en  faisant souffler toute la journée un petit vent, certes frais, mais toujours dans le bon sens pour un cycliste : dans le dos.

Samedi matin, à Pau comme ailleurs en France, c’est le 14 juillet, jour de fête nationale, mais ici c’est aussi une fête internationale du vélo. Sur les 8000 inscrits, plus de 40% d’étrangers, et des gens de tous les continents : des Britanniques en grand nombre, des Japonais, des Kenyans, des Brésiliens et des Néo-Zélandais... 

Un panorama de la place de Verdun peu avant le départ
Me voilà donc au départ, place de Verdun à Pau, sur le lieu même où, pas encore pris par le virus du vélo, j’avais vu en 1993 l’arrivée de la toute 1ere étape du tour, reliant Tarbes à Pau par le Tourmalet et l’Aubisque sur 190 km.
Petite photo de groupe avant d'intégrer notre sas
 La nuit a été courte et agitée, comme à chaque fois le stress et l’envie d’y être ont fait leur oeuvre. Après un petit déjeuner à base de thé, de lentilles, de fruits secs et de noix diverses, je descends place Gramont où je retrouve mes comparses Olive et Pascal. Il est 6h et les cyclistes qui se rendent place de Verdun croisent les soulards qui sortent de boîte et qui nous crient qu’ils peuvent nous fournir de l’EPO... facile et toujours de bon goût. A un qui, titubant, m’apostrophe en me traitant de drogué, je réponds avec le sourire qu’avec ce qu’il tient, il est mal placé pour me donner des leçons.  A un autre qui court à coté de moi en me beuglant dans les oreilles tout en m’attrapant la selle, je l’écarte avec moins d’humour en joignant le geste à la parole... Enfin débarrassés de cette fange alcoolisée, nous retrouvons quelques comparses du GCP, beaucoup plus sains de corps, si ce n’est d’esprit, pour une photo souvenir avant que chacun n’intègre son sas. 
Bien parqués dans nos lignes, il ne reste plus qu’à attendre trois bons quart d’heure. Le ciel est couvert, mais la météo a prévu des éclaircies pour la fin de matinée. Sur ces prévisions optimistes, je n’ai pas pris de Kway, juste les manchettes, le coupe-vent et quelques feuilles de journal. Petite erreur tactique, j’y reviendrai. D’ailleurs, la plupart des gars se sont vêtus plutôt légèrement... La foule est impressionnante, il y a aussi quelques spectateurs lève-tôt, dont Ben, notre président bien aimé (gloire à toi, ô guide suprême !) avec un magnifique petit chapeau de paille blanc du meilleur goût. 
7h enfin, le départ est donné, les trois 1ers sas se vident et c’est mon tour. Passage sous l’arche et hop me voila parti à l’assaut de cette étape mythique du tour de France. Pau-Luchon par les cinq cols, un des grands classiques du tour. Une étape parcourue 18 fois depuis 1947 et qui a vu gagner Robic, Bahamontes, Merckx ou encore Hinault. Bref, une de celles qui ont forgé la légende de cette épreuve, et pour moi, palois, fils de montagnard et de cycliste, celle dont on rêve quand on est gosse. C’est avec cette pensée que je pars, le coeur léger et le sourire aux lèvres. Petit salut à Ben en passant, descente par la côte Marca, mes tantes qui attendent mon passage ne me voient quasiment pas, et ce n’est pas faute d’avoir crié... Sortie de Pau, ça roule déjà très vite. L’objectif, pour les 40 kms qui arrivent est de rester dans les roues pour laisser le moins d’énergie possible avant d’attaquer les cols. Plus facile à dire qu’à faire, car ça part vraiment à fond et il faut faire l’effort pour rester dans les bonnes roues. Sur la route de Gan des petits paquets se forment. Après Gan, je retrouve Gilles, un compère du GCP qui roule fort en tête du groupe. Pour ma part je reste bien au chaud et à l’abri dans le paquet. 
Côte de Sévignacq, 2km qui ont du en surprendre plus d’un, car ça roule fort au pied, et puis le rythme devient plus raisonnable au milieu. Gilles s’est envolé vers une excellente place. Pour ma part, ici aussi, l’objectif est de rester dans les roues et de m’économiser... Descente à fond, la route est large et lisse. Quel pied de couper les virages à 60 à l’heure. Dans le bas, je me retrouve dans un groupe qui embraye jusqu’à Bielle. 
Là, sur la route tracée à la place de l’ancienne voie de chemin de fer qui voyait dans les années 50 toute la famille Bourda débarquer à la gare de Bielle pour le pèlerinage estival à Bilhère-en-Ossau, nous roulons à un rythme soutenu aidés par le léger vent dans le dos qui souffle dans cette splendide vallée d’Ossau. Dommage que nous n’en ayons qu’un petit aperçu à cause du ciel bas et gris qui couvre tous les sommets environnants. Nous ne pouvons voir ni le plateau du Bénou de mon enfance et de mes années d’étudiant en géographie (ah les terrasses de Kame et les tugudus !), ni le splendide pic du Midi, celui d’Ossau bien sûr, le seul et unique ! Notre peloton se renforce par l’arrière et il faut résister à la tentation de suivre les petits groupes qui nous dépassent à une allure vive, et déraisonnable pour moi. 
Laruns, petit arrêt pipi juste avant la cellule prenant le temps de montée et c’est parti pour les 17 km et des brouettes de l’Aubisque. Les 1ers kilomètres assez roulants me laissent dans l’expectative, à 17/18 km/h sur le 39*23 mon rythme est plutôt bon et les jambes tournent bien, mais je me fais dépasser de tous les côtés. De deux choses l’une, ou bien je suis aux fraises, ou bien tous ces types vont avoir des surprises un peu plus haut... pour garder le moral, j’opte pour la 2eme hypothèse. Je me la joue régional de l’étape qui connait par coeur le moindre cm de cette montée, pour l’avoir gravi des centaines de fois, en voiture pour les journées de ski dominicales avec mon père, plusieurs fois en vélo et une fois à pied lors de la Course à l’Aubisque à l’été 1999.
Toujours est-il que jusqu’aux Eaux-Bonnes j’ai la désagréable impression de reculer. Et je ne veux pas me mettre dans le rouge pour suivre le train à tout prix et le payer cash un peu plus loin. D’autant que la pluie est de la partie désormais. Si la fraicheur ambiante n’est pas gênante pour la montée, ça laisse présager d’une descente peu agréable. Après la cascade du gros hêtre, une 1ere pente sévère à 13% calme les ardeurs de beaucoup, puis c’est la longue rampe des paravalanches où la pente ne descend pas sous les 9%. Là c’est tout à gauche et je monte en alternant 30*23 et 30*25. 
Nous sommes désormais dans le brouillard dans une ambiance digne des Highlands. Les très nombreux britanniques qui sont dans cet immense peloton multicolore ne doivent pas être trop dépaysés ! Un petit replat dans une épingle à droite permet de souffler un peu, mais la pluie redouble. Un petit coup de mou au paravalanche de Gourette, mais je saute le ravito. Là aussi petit replat bienvenue et pas mal de spectateurs qui nous encouragent. Virage à gauche dans la station, la pente se cabre à nouveau, et ne redescend pas sous les 8% avant le sommet qui est encore à 4km. 
Virage dans la station de Gourette, brouillard et pluie...

Paradoxalement, j’ai cessé de reculer, et je recommence à gagner des places. Sans hausser le rythme, je me sens mieux, sûrement la perspective de retrouver Clément et Papa dans quelques minutes au Soulor. D’ailleurs, je garde un oeil sur l’heure pour éviter d’être là-bas trop tôt. Ces 4kms se font dans une véritable purée de poix, on ne voit pas plus loin que 50m et le crachin nous transperce. Par-ci, par-là quelques spectateurs émergent de la brume et nous encouragent, des camping-cars sont déjà là pour attendre les pros qui passeront dans 4 jours. C’est assez surréaliste comme ambiance. A 1km du sommet, je me sens très bien et j’accélère un peu, juste pour voir, tout va très bien. 
Sommet de l'Aubisque ou du Ben Nevis ?
Sommet, en 1h21, un temps plutôt correct. Je ne traine pas, juste le temps de refermer mon coupe vent, et j’attaque cette descente que la pluie et le brouillard rendent encore plus dangereuse. Des gars nous préviennent qu’il y a des animaux sur la route: effectivement, un peu plus bas, un gendarme tente de contenir quelques ânes qui ont l’air décidé à traverser la route malgré les vélos qui passent à toute allure et sans discontinuer. Outre la pluie, le brouillard et le froid qui commencent à m’engourdir les doigts et les pieds, il est vraiment dommage que nous ne puissions pas voir dans quel paysage grandiose nous évoluons. Le cirque du Litor est vraiment somptueux, quand le temps est clair. En tous cas, cela permet aussi de ne pas apercevoir le précipice impressionnant qui borde la route par endroits et qui pourrait donner le vertige aux plus intrépides. Jean Paul Ollivier pourrait dire que cette descente de l’Aubisque a été en 1951 le théâtre d’un drame miraculeux quand Wim Van Est, porteur du maillot jaune, retardé dans l’ascension, a été retrouvé intact après avoir fait une chute de 70m dans le ravin. Pour ma part, je descends sur des oeufs, comme la plupart de ceux qui m’entourent, et pour une fois le passage dans le tunnel est un soulagement car là on est pour un court instant abrité du vent et de la pluie. D’habitude, quand il fait soleil, c’est plutôt un passage que l’on craint du fait du manque de visibilité et de l’humidité qui rend la route glissante à cet endroit...
Nous voici au pied d’une courte ascension de 2km menant au col du Soulor, rien d’extraordinaire en soit, mais là, les jambes sont comme du bois. S’il est toujours difficile d’enchainer une montée juste après une descente, avec la pluie et le froid, c’est dur de remettre la machine en route. Mais monter a au moins un avantage dans ces conditions, faire tourner la chaudière et ne plus avoir de vent, ce qui permet de se réchauffer un peu. Au sommet du Soulor, il y a pas mal de monde, je retrouve Papa sous son parapluie et Clément engoncé dans son poncho pour un petit ravitaillement familial. Hélène et David sont aussi là pour un ravitaillement de l’avenir bizanosien. C’est réchauffé physiquement et moralement que j’attaque la descente humide du Soulor. La 1ere partie de la descente est difficile : avec le froid, il faut lutter pour éviter de trembler et de rendre les trajectoires hasardeuses. A Arrens, la pluie a cessée et la route est désormais sèche, j’en profite pour mettre les gaz, là aussi ça réchauffe et je suis assez surpris de doubler plein de gars au ralenti, sûrement transis de froid. En tous cas, je me sens super en forme et très à l’aise dans cette descente rapide. Le compteur affiche 70 juste avant Argelès. Là aussi je saute le ravito, car les familles Lacaze et Lory attendent les GCPistes un peu plus loin. 
A la sortie d’Argelès, Raymond m’a rattrapé, on va faire un petit bout de route ensemble jusqu’à Barrèges. Parti un sas derrière moi, il a du sacrément carburer. Nous remontons la vallée du Lavedan et les gorges de Luz bien au chaud dans des groupes, mais ça roule quand même assez vite. Ici la route est sèche, les nuages sont toujours là, menaçants, mais cela semble un peu plus clair vers le Tourmalet... l’espoir fait vivre. A Luz, beaucoup de monde dans les rues, des gosses tendent les mains, d’autres chantent ou agitent des cloches, une ambiance de kermesse toujours très agréable quand on est en plein effort. Ca nous fait un peu entrevoir à quel point ça doit être grisant pour les pros de passer les cols en fendant la foule... Pour le moment, ce qui est moins grisant c’est que nous avons devant nous les 19,5 km de notre 2e col hors catégorie de la journée. Pour ma part ce col mythique n’aura jamais aussi bien porté son nom de «mauvais détour» tellement son ascension a été un calvaire. Rien à voir avec celle réalisée il y a 15 jours lors de la Pyrénéenne où il m’avait paru une simple formalité... il faut dire que là, nous avons déjà 105 km et l’Aubisque dans les pattes, ce qui change pas mal la donne. 
Toujours est-il qu’au pied et dans les 1eres rampes, je me sens encore très bien, même si je n’arrive pas à emmener le 39 comme il y a 2 semaines, mais à mon petit rythme, entre 10 et 12km/h) je remonte pas mal de types et Raymond qui s’est arrêté au pied ne m’a toujours pas repris. A Barrèges, la partie la plus dure, le rythme s’effondre, c’est normal, la pente dépasse les 10% à la sortie du village. Ce qui l’est moins c’est que j’ai l’impression de n’avoir plus rien dans les cannes... Plus de son plus d’image, je roule à 7km/h et je me fais doubler de tous les côtés. Pourtant je me suis alimenté, j’ai bu, mais plus rien, impossible même de changer de rythme quand la pente se radoucit. Raymond m’a rattrapé, on s’arrête tous les deux au ravito. Ca me rappelle l’ascension de ce col lors de la Hubert Arbes en 2010 où j’avais eu un coup de bambou avant de me refaire la cerise après le ravito placé au même endroit. Non, les mauvaises langues, ce n’est pas parce que j’avais oublié mes bidons sur la table de ce ravito là que je m’étais envolé vers le sommet ensuite ! En tous cas c’est avec cette idée là que je m’arrête longuement : petit sandwich, nombreux quartiers d’orange, figues sèches, pipi et je repars. Raymond est déjà reparti depuis quelques minutes, je ne le reverrai pas. Pour ma part, j’essai de retrouver un petit rythme, mais le ravito n’a pas eu l’effet escompté et je n’ai pas l’impression d’avancer mieux que tout à l’heure. Là c’est dans la tête que ça se passe, on se raccroche à ce qu’on peut pour avancer, je pense à ma femme, aux enfants, aux sacrifices pour en arriver là. Comme souvent je perds le compte des panneaux annonçant tous les kilomètres la pente moyenne, l’altitude et la distance jusqu’au sommet. A la sortie du ravito, croyant être à 10km du haut, je m’aperçois qu’il n’en reste que 6... Heureusement que c’est toujours dans ce sens que je perds le compte, dans l’autre sens, je n’aurai plus qu’à descendre du vélo et attendre la voiture balai. Nous sommes désormais dans le brouillard, mais ici pas de bruine et route sèche, c’est déjà ça. En revanche l’effet de l’altitude se fait sentir, malgré les calories produites par l’effort, je commence à sentir le froid. J’apprendrai plus tard qu’il faisait 5°C au sommet du Tourmalet à 2115m d’altitude. Je vois les 1ers gars arrêtés au bord de la route, ça ne fait que renforcer mon moral et ma détermination dans le gros coup de mou que je connais : pas question que je m’arrête, les cols je les monte en cycliste, pas en piéton. Les derniers kilomètres se font mécaniquement, tourner les jambes, se lever, baisser la tête, se rassoir, boire un coup, se lever, baisser la tête, se rassoir... Ce qui est bien avec le brouillard, c’est qu’on ne peut pas voir le sommet, car quand on est à l’embranchement de la vielle route, on le voit bien quand il fait clair, et il parait très haut, situé en haut d’un véritable mur. Epingle à gauche, épingle à droite, la pente n’est jamais sous les 8%, 4km, 3km, 2km, épingle à gauche, épingle à droite, dernier km, passage sous les télésièges, épingle à gauche et en avant pour la dernière rampe, les derniers 500m à 13%. Tout le monde se dresse sur sa machine, des gars nous encouragent au bord de la route, 400m, 300m, je me rassois, 200m, je me relève, on devine le sommet dans la brume, 100m, derniers encouragements... ouf, on y est. 
Quelle galère, mais une montée en 1h58, quasiment le même temps qu’il y a deux ans sur l’étape Pau-Tourmalet. Vision surréaliste, des gars arrêtés partout, certains avec des couvertures de survie, tout le monde cherche un moyen de se réchauffer. Je finis un bout de sandwich, place des feuilles de journal sous mon maillot, remonte les manchettes et c’est parti pour la descente. Dans le froid et la brume, mais pas de pluie... pour l’instant. De nouveau les mains et les pieds s’engourdissent, et le froid me transperce malgré le coupe vent et le journal, mais ça va mieux que certains qui tremblent comme des feuilles sur leur vélo, j’essaie de me concentrer sur mes trajectoires et de continuer à tourner les jambes même à vide pour rester le plus chaud possible. Quelques kilomètres plus bas, mauvaise surprise : à l’entrée de La Mongie, ce sont des seaux d’eau qui s’abattent sur nous désormais. J’ai froid, je fais attention à bien anticiper les freinages mais je suis en confiance sur mon vélo, ce qui n’est visiblement pas le cas de tout le monde. Du coup je double pas mal de gars. L’expérience de cette même descente sous la pluie il y a 15 jours aura servi ! Une petite crampe dans la cuisse, mais sans m’affoler, je tourne les jambes en mettant tout à droite et ça passe. Vers Gripp, la pente est moins forte, j’embraye joyeusement et je remonte plein de gars, les dépasse, mais personne ne me suit. Une bonne chose, malgré le coup de mou dans le Tourmalet, je me trouve encore très frais (!) et en jambes dans cette partie roulante. Je m’en donne à coeur joie, sur cette route détrempée, l’avantage est que ça réchauffe un peu. 
Patrick dans son habit de lumière improvisé
A Sainte Marie de Campan, la pluie a enfin cessé. Virage à droite, j’entends Ben crier, mais je ne m’arrête que quelques secondes, juste pour dire à Marie que tout va bien. Au ravito, c’est un festival de tremblotte. Incroyable, plein de gars sont transis de froid et ne peuvent pas s’arrêter de vibrer et de claquer des dents. J’entends que pas mal de types sont à l’infirmerie ou ont abandonné. Pour ma part, l’idée ne m’a même pas traversé l’esprit. A peine si dans la descente je me suis dit  que si la pluie continuait comme ça dans l’Aspin et le Peyressourde ça allait être une drôle de galère. Patrick, un gars du GCP me retrouve au ravito, il est parti deux sas derrière moi, lui aussi a du gazer... décidément  le GCP a recruté de sacrés bons cyclistes ! Christelle vient de lui prêter sa gore-tex vert anis, mais il tremble comme une feuille et est tout bleu. 

On repart tous les deux après quelques minutes. Nous voila partis pour le dernier morceau, le plus facile... seulement 60 kilomètres, deux cols de 1ere catégorie et 21 kilomètres d’ascension. Mais quand on a déjà parcouru 140 bornes, ce n’est vraiment rien ! D’autant que la pluie a cessé et que la route est sèche. Du bonheur quoi. 

Avec Patrick, on profite de ces quelques kilomètres en faux plat montant qui mènent à Payolle pour discuter un peu. Il se réchauffe doucement et son coup de pédale redevient franc et incisif. On essaie de prendre les roues le plus possible pour rouler à l’économie. A Payolle, On ne voit pas Adrien, le temps n’a pas du l’inciter à faire une ballade familiale à la montagne ! Il reste 5 kilomètres à faire, mais c’est vraiment là que l’Aspin démarre. Après un grand virage à droite la pente se cabre brusquement et reste constante au dessus de 8% jusque dans le dernier kilomètre. Très joli au demeurant ce petit col, très bucolique avec cette route qui serpente au milieu des sapins, puis dans une lande de fougères, c’est très vert et aujourd’hui on comprend très bien pourquoi ! Je reprends mon petit rythme, je dis à Patrick d’y aller car visiblement il est bien mieux et je ne peux pas monter plus vite. De nouveau, l’impression de ne pas avancer et d’avoir les jambes dures et lourdes. De nouveau ça se fait au moral. Les kilomètres s’égrainent lentement, je me fais penser à un automate qui tourne les jambes et tire sur son guidon de façon mécanique. Vraiment, aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir atteint les limites de mes (petits) talents de grimpeur. En tous cas, je ne suis pas le seul à en baver, car des gars marchent au bord de la route vélo à la main, un anglais avec un beau cuissard aux couleurs de l’Union Jack qui m’avait passé ce matin comme une fusée dans le Tourmalet, est arrêté, assis sur un muret de pierre, se prenant la tête à deux mains. 

Le sommet est là, je fais le plein d’un de mes bidons, et j’attaque la descente sans tarder. Attaquer est bien le mot, car pour une fois je m’y sens très à l’aise. La route est belle, large... et sèche. Je me régale à couper les virages et à prendre (un peu) d’angle. De nouveau, je double pas mal de gars, et je remonte sur un Kway vert anis... pensant que c’est Patrick j’en remet une louche, mais ce n’est pas lui... il est juste un peu plus bas. Motivé par ce point de mire, je poursuis mon effort. Le compteur dépasse 70 dans certains bouts droits. Dans le bas, c’est un peu plus technique, de nouveau je m’amuse à tailler des trajectoires dans ces virages, je reviens sur Patrick et le dépasse. Je poursuis mon effort dans une partie en faux plat descendant. Je me suis refait la cerise de nouveau et les jambes tournent très bien sur le 52*12, je dépasse des gars à 60 à l’heure, c’est grisant, mais personne ne me prend la roue. Voici Arreau, je suis toujours seul, personne ne revient derrière, alors je continue sur cette partie plane puis en léger faux plat montant à enrouler la plaque. Je traverse Arreau seul, sous les vivas de la foule... oui, bon enfin on peut toujours rêver non ? A Bordères-Louron, 5km plus loin j’ai repris un petit groupe, mais voulant éviter de me griser, et de me chopper la fringale dans le dernier col je m’arrête au ravito. Je vois Patrick qui passe sans s’arrêter. 

A la sortie du village, je fais l’effort pour le rejoindre. Nous roulons à nouveau de concert vers ce fameux col de Peyresourde et ses 9km que l’on annonce redoutables en fin d’étape. Les deux 1ers sont plutôt tranquilles avec même une légère descente. Puis la pente se cabre à plus de 8%, cette fois j’essais de suivre le rythme de Patrick, mais rien à faire... Je le laisse donc partir de nouveau en pensant le reprendre, comme tout à l’heure dans la descente. Pendant 4km, la pente moyenne est de 8,5% et ça fait vraiment mal aux jambes, mais de façon assez paradoxale, je me sens mieux que dans l’Aspin, même si dans le haut la pluie et le brouillard ont refait leur apparition. Là aussi, c’est beaucoup dans la tête que ça se passe car avec 3 cols, 170km et près de 9h de vélo dans les jambes, si la tête va, le reste suit. Toujours est-il que je me sens bien. A tel point qu’à 3km du sommet, la pente s’adoucit un peu à 6,5%, je remets le 39 dents et double quelques types qui m’avaient passé au pied. L’Euphorie de fin d’étape s’empare de moi, mais je cale un peu avant le dernier km où la pente, traitreusement se redresse à nouveau à 9%. Le dernier kilomètre se fait à l’énergie, j’y vais au maximum, sachant qu’il n’y a plus qu’à descendre jusqu’à Luchon 16 kilomètres plus bas, mais c’est vraiment dur et les jambes sont lourdes. Des camping-cars surgissent du brouillard et du crachin, le sommet est là, enfin ! 
Je ne m’arrête pas, et embraye tout de suite sur la descente. La route est mouillée dans le haut, mais en confiance et dans un bon état de fraicheur (!), j’y vais franchement. Je double des gars qui sont quasi à l’arrêt et se laissent glisser jusqu’à l’arrivée. Plus bas, la pluie s’arrête et la route est sèche. Je lâche tout, recherche de vitesse dans les bouts droits, freinage tardif en entrée de virage, prise d’angle à la corde et relance à bloc à la sortie. Je me régale ! Traversée de villages, la route est plus un faux plat désormais, je poursuis sur ma lancée, à fond, je dévore cette descente pied au plancher, bouche grande ouverte et sourire aux lèvres, complètement euphorique.  Je dépasse plusieurs cyclistes comme une fusée, personne ne prend la roue. Entrée dans Luchon, beaucoup de monde, virage à droite, assez serré, puis c’est la longue ligne droite d’arrivée. Un petit faux plat montant oblige à relancer, debout sur les pédales et les mains en bas, je donne tout ce qui me reste. Flamme rouge, longue ligne droite entourée de barrières des deux cotés, beaucoup de monde dans les rues. Je termine en trombe, les avant-bras sur la potence à la mode triathlète à plus de 40 à l’heure. L’arrivée est là. Papa et Clément aussi, fiers de leur père et fils. Remise de médaille, petite collation, assez indigente d’ailleurs. Petite marche vers la voiture à la sortie de la ville. Mettre des affaires sèches et chaudes font un bien fou. Puis c’est le retour sur Pau.
Au final, je termine 1397e sur 3820 arrivants seulement, mais 4696 partants. Heureusement qu’on était supposé être 8000... bref. J’ai fait les 201 km et les 5000 mètres de dénivelé en 9h38 à la moyenne de 20,9 km/h. Le 1er, Nicolas Roux fait 6h44 à 29,8 de moyenne, ça laisse rêveur, le dernier met 12h32... Il y a même un gars classé en plus  de 19 h, mais il doit y avoir un erreur de chrono, car cela voudrait dire qu’il est arrivé seul à 2h du matin, un peu comme dans les longues étapes du début du siècle, comme Luchon-Bayonne de 1910...
Au delà de ce simple bilan chiffré, je suis heureux et fier d’avoir terminé cette étape, d’avoir pu  un peu plus toucher du doigt la difficulté de ce genre de parcours, qui a un autre avantage qu’une simple petite gloriole personnelle : cela rend sacrément modeste, quand on voit à quel rythme les meilleurs et les pros escaladent ces montagnes, et recommencent le lendemain... Si cela était besoin, cela remet le cycliste du dimanche à sa vraie place. C’est vrai que j’ai une petite pointe d’amertume d’avoir un peu coincé dans le Tourmalet et l’Aspin, mais je relativise en constatant qu’entre les cols j’étais très en jambes et qu’à l’arrivée j’étais encore assez bien. Je pense que s’il avait fallu en monter un petit dernier ou faire quelques bornes de plus ça serait passé sans problème. C’est marrant qu’au fil des années, je n’en suis finalement qu’à ma 4e vraie année de pratique +/- intensive du vélo, on se découvre au fur et à mesure. Cette année, en tous cas, entre les 220 km de l’Ardéchoise que j’ai fini assez frais et cette étape, je me suis trouvé capable de faire des parcours longs, d’enchainer des cols, même en les passant parfois avec difficulté, mais en étant encore capable de bien rouler derrière, dès que le relief se fait plus clément.  Ce qui est sûr c’est que pratiquer un sport de fond comme le vélo nous apprend beaucoup sur nous même et permet de trouver une sorte de plénitude physique et mentale telle qu’il est difficile de décrocher. D’ailleurs sans parler de raccrocher le vélo, je pense que je ferai l’impasse sur l’EDT l’an prochain. Ca me permettra de ne pas penser qu’à ça pendant 6 mois et d’être un peu plus présent auprès de ma femme et de mes enfants, qui sont mes 1ers supporters, mais qui subissent aussi les longues heures d’entrainement. 
Enfin je voulais terminer en remerciant Benjamin et tout le GCP. Merci Benjamin de m’avoir accompagné dans mes 1ers pas hésitants sur un vélo. Merci aussi de t’être lancé avec Gwen dans l’aventure de ce club de vélo et d’en avoir fait ce qu’il est, un groupe avec qui il fait bon rouler. Bravo aussi à tous mes collègues du club qui ont terminé cette étape énorme et qui ont fait honneur au club. Ceux que je connais depuis le début de l’aventure, Pascal et Olive que j’ai toujours plaisir à retrouver sur la route et aussi tous les autres que je connais moins. Gwen, chapeau pour avoir osé partir, j’espère te retrouver sur un vélo, puissant et rageur comme aux plus beaux jours.
Olivier B.

1 commentaire:

Olivier Bourda a dit…

Thanks for your comment. Did you ride these étape du Tour Pau-Luchon ? This is not exactly my blog, this is my cycling team (GCP) one. Most of the articles are posted by the president of the team, and sometimes, few cyclers as myself are writing stories of a race we rode.

L'Equipe.fr Actu Cyclisme