vendredi 23 juillet 2010

Mon Etape du Tour Mondovélo 2010, Pau-Le Tourmalet, par Olivier B.

Enfin, le moment qui a occupé mon esprit de jour comme de nuit est arrivé. La semaine qui a précédé cette étape au parcours mythique a été bizarre. Placée sous le signe du repos, mais aussi de la tension et de la nervosité. Repos car j’avais beaucoup roulé la semaine précédente, environ 400 km entre la Hubert Arbes et les trois sorties club sur Alès. Tension et nervosité dues à l’approche de l’événement et à l’angoisse de ne pas être prêt à monter le Tourmalet en dernière ascension. Certes je l’avais plutôt bien escaladé, malgré un petit coup de mou autour de Barèges lors de la Hubert Arbes 2 semaines auparavant, mais il n’arrivait alors qu’en 2ème col après 80 km de course, alors que là il s’agit de le grimper en 3me col après un peu plus de 160 km, une autre histoire... Du coup je suis resté sur la réserve lors de la sortie GCP du mardi avec une sensation de jambes lourdes qui n’était pas faite pour me rassurer à 5 jours du départ. Désolé les gars mais ce soir-là j’étais trop tendu pour profiter de cette sortie avec vous.

Le vendredi, passage obligé à l’immense village départ sur l’hippodrome pour récupérer dossard, transpondeur mais aussi sac à dos et tee-shirt cadeau. On se sent déjà dans l’ambiance au milieu d’une foule conséquente et multilingue. Petite visite sur les différents stands où les marchands du temple présentent leurs produits et innovations à cette masse de cyclistes avide des derniers gadgets, à l’affut de traquer le moindre gramme sur leur machine, à défaut, pour certains, de le faire sur leur ventre plutôt proéminent... Ce qui me rappelle ce que m’a dit David, mon cousin qui en est à sa 3ème édition, sur l’impréparation voire l’inconscience de certains prétendants à cette épreuve mondialement réputée.

Le vendredi est aussi pour moi le début du régime spécial étape du tour : pâtes, patates, pain, banane, eau minérale, thé, tisane... Le but étant de faire des réserves de sucres lents et de s’hydrater en prévision d’une journée longue, dure et chaude... sans allusion particulière Benjamin ! Ce régime n’est d’ailleurs pas sans conséquences physiologiques, quand le grand nombre de petites commissions est inversement proportionnel à celui des grosses... bref.

Le samedi aurait pu être une journée calme sans l’aller-retour pas vraiment express de Clément aux urgences de l’hôpital de Pau. Heureusement plus de peur que de mal. Le soir, je vais m’installer chez mes tantes qui ont le grand avantage, outre leur serviabilité légendaire, d’habiter sur la place qui permet d’accéder aux différents sas de départ s’étalant sur 1,5 km. Le trajet vers le centre ville est d’ailleurs l’occasion de se rendre compte encore une fois de l’ampleur de cette cyclo en terme de fréquentation : la ville est envahie de cyclistes de tous âges et de toutes les couleurs qui ont pris d’assaut hôtels, chambres d’hôtes et campings de Pau et des environs. Avant de me coucher, je vérifie de n’avoir rien oublié et relis pour la centième fois les plans d’accès au sas et les descriptifs de l’étape, ce qui ne sert pas à grand chose, mais fait passer le temps car je sens que le sommeil va être long à venir. Effectivement la nuit est courte, d’une part car le réveil sonne à 5h, mais aussi car je reste dans un demi sommeil jusqu’à minuit, une heure...excitation quand tu nous tiens !

Le dimanche, dès 5h, j’ouvre les fenêtres donnant sur la place Gramont où déjà des cyclistes canadiens sont en tenue et prennent bruyamment leur petit déjeuner. Pour ma part ce sera thé, patates vapeur et mélange «pépé d’Asson» de fruits sec amandes et noix de cajou. A 6h, je retrouve sur la place mes 3 compères du GCP qui m’attendent. Olive a l’air déjà dans les starting-bloks. Ensemble, nous regagnons nos sas respectifs. Gwen dans le n°4 (1200-4200), Olive dans le n°5 (4200-7200) et Pascal et moi dans le n°6 et avant dernier sas pour les dossards 7200 à 9200. Avec Pascal nous sommes assez près du début du sas, mais nous avons devant nous une bonne heure d’attente avant que le départ ne soit donné. Le sas se remplit rapidement et l’ambiance est assez bon enfant. On discute avec un gars de Vendée, on subit les bavardages bruyants de deux portugais (ou brésiliens) volubiles, je prête mon téléphone à un anglais qui doit joindre son groupe... ce dernier m’avoue n’avoir jamais grimpé de cols de plus de deux ou trois km car il vit près de Liverpool, peu connu pour son relief montagneux. Je crois qu’il n’a pas été déçu du voyage ! Le boulevard des Pyrénées est noir de monde, dans les sas évidemment mais en dehors aussi : des curieux assez nombreux se pressent pour voir le spectacle de cette horde sauvage et multicolore, ainsi que des noceurs qui se finissent au pastis à la terrasse des cafés. La rencontre entre cyclistes lève-tôt et arsouilles couche-tard ne manque d’ailleurs pas de sel : mais l’heure n’est pas pour nous à la téquila-paf !

7h, le départ est donné pour le premier sas des anciens pros et des (pseudo) VIP. Pour nous, noyés dans la masse du peuple cycliste, il nous faudra patienter 20 bonnes minutes avant de pouvoir se mettre en selle et 5 minutes de plus avant que nous passions sous l’arche de départ dans un petit air frais et une ritournelle de bip, bip, bip en cadence à chaque passage d’un transpondeur sur la plaque de départ. La traversée de Pau est placée sous le signe d’une grande excitation d’y être enfin et de la prudence du fait du flot continu et bigarré de cet immense peloton qui se répand dans les rues de la ville. Selon mon oncle Bernard, le Jean-Paul Ollivier de la famille, qui nous regarde passer à l’entrée du pont du 14 juillet accompagné de mes tantes, c’est pendant une demi-heure que le peloton passera à grande vitesse devant eux, manquant de renverser la plus frêle de ses deux soeurs sous l’effet du déplacement d’air.

Le premier tiers de la course nous amène au pied du col de Marie-Blanque, le rythme alterne entre des parties très rapides sur les larges avenues de Pau et sur la rocade vers Larroin et les «hop, hop, hop» signalant des ralentissements brutaux dès que la route se resserre à Jurançon et à Larroin. Le rythme est assez élevé tout de même. Pour moi ce début de course est placé sous le signe de la gestion des efforts en prévision des trois grands cols qui nous attendent. Pascal semble très en jambe et me distance fréquemment même sur le plat avant Larroin. Au kilomètre 10, nous attaquons la 1ère côte, difficile d’y trouver son rythme du fait du nombre de cycliste sur la route et de l’attention toute entière consacrée à observer ce que font les autres devant et à côté afin d’éviter l’accrochage ou la chute. Pascal monte un peu plus vite et fait un petit écart dans lequel plusieurs cyclistes se glissent rendant difficile de se rapprocher. La route qui nous mène à Oloron est une succession de petites côtes et de descentes sur plus de 20 km. Dans un premier temps j’essaie de boucher le trou qui me sépare de Pascal que j’aperçois à 300m. Mais cela s’avère périlleux en raison de la masse continue de cet immense peloton. Et mon petit doigt me rappelle que cette partie bien que casse-pattes, n’est qu’un amuse gueule face à ce qui nous attend. Je décide donc de rester sur mon rythme, d’être prudent et de laisser filer Pascal, que je ne reverrai qu’à la Mongie tout comme Gwen et Olive, une fois la ligne d’arrivée franchie. J'en profite pour faire la revue des cyclistes et de leurs montures hétéroclytes qui m'entourent :Vélos de toute taille et de toutes les couleurs, y compris des VTT (?) et des tandems.

A Oloron-Sainte-Marie, gros ralentissement dans une étroite rue piétonne du centre qui oblige à mettre pied à terre. Les premiers exemples, mais pas les derniers, de bêtise se manifestent avec quelques cyclistes qui tentent de gagner quelques places en roulant à fond sur les trottoirs étroits... Devant moi l’un deux se mange un plot en fer délimitant une place de stationnement : «bien fait» ! me dit mon petit doigt. A la sortie d’Oloron, nous empruntons la route nous menant à Escot, pied du col de Marie Blanque. Une route peu roulante et fatigante, d’autant plus que je ne la connais pas et que j’ai hâte d’en découdre avec ce fameux col, dont les 4 derniers kilomètres sont, parait-il, assassins. Il est vrai qu’a priori ses 9,5 kilomètres à 7% de moyenne n’ont rien d’effrayant, mais si les 4 premiers km sont roulants et peu pentus, les 3 derniers sont à plus de 11% de moyenne ! Au pied du col, petite pause pipi devant un des cars balais stationné là, comme si je voulais conjurer le sort et me dire qu’il n’est pas question que je me retrouve dans un de ces corbillards. Je profite de l’arrêt pour ôter mon gilet coupe-vent qui vient grossir le chargement des poches de mon habit de lumière.

Le début de l’ascension est faite sur le 39, mais je passe le 30 au 5e km avec la 1ère rampe sévère pour faire cette 1ère ascension en moulinant le plus possible. Je dépasse les 1ers «marcheurs» du jour en me disant que ceux-là vont passer une sale journée. Pour ma part les jambes sont là et me permettent de monter à un bon rythme, même s’il est très difficile de trouver le sien dans cette masse de vélos occupant toute la route. Je n’arrête pas de changer d’allure, de ralentir et d’accélérer franchement, même dans les pentes à plus de 10% pour me défaire d’un groupe de trainards zigzagant. Ce qui me rassure c’est que toutes ces manoeuvres ne me demandent pas d’effort et que je me sens très facile. Au 6ème km, ça y est la pente se durcit réellement, la densité de cyclistes augmente encore, de même que le nombre de marcheurs sur le côté droit. A 2 km du sommet, ce qui devait arriver arrive : tout le monde met pied à terre, c’est le bouchon. On se croirait sur la nationale 7 un samedi de chassé croisé. Là encore deux abrutis se pensent plus malins et pestent contre ceux,c’est à dire tous les autres qui les entourent, qui ne se serrent pas sur la droite, pour permettre à leur «majesté» gonflée d’orgueil et de bêtise de continuer à rouler. Ils se remettent d’ailleurs en selle , roulent sur le bas côté, manquent de tomber et d’accrocher d’autres gars qui n’ont rien demandé à personne. La situation s’envenime quand un gars gueule : «regardez-les ces deux cons, c’est des gars comme ça qui me font désespérer et me gâchent le plaisir d’être là, non mais regardez-les, faut vraiment qu’ils aient une cervelle de poisson rouge. Et encore, ces deux, tu les fous dans l’eau ils sont encore trop cons pour nager». D’autres râlent contre l’organisation et disent qu’ils ne reviendront pas... Tant mieux me dit mon petit doigt, ça fera plus de place pour les autres. Pour ma part, malgré 1,5km de marche forcée, et ridicule sur les talons et en canard - qui a déjà essayé de marcher longtemps avec des chaussures de vélo ?- je suis tout simplement heureux d’être là ! A 500m du sommet on peut enfin se remettre en selle et franchir le col en cycliste et non en piéton ! Des dizaines de spectateurs nous encouragent et le temps est magnifique.

Je prends quelques instants pour enfiler le coupe vent et monter les manches, car si le temps est magnifique, le fond de l’air est frais. La route est en parfait état et je me prends pour un as de la descente quand je double des types à l’arrêt dans les virages. A mi-descente, sur le plateau du Bénou, le premier ravitaillement est là. Un choc. Un monde pas possible, des gars et des vélos posés partout et n’importe comment, et une sorte de frénésie qui s’empare des gars qui se précipitent sur les stands avec avidité. Je me sens un peu décalé, un peu comme un provincial qui serait parachuté dans les couloirs du métro station Les Halles un samedi après-midi de soldes... Je fais tout de même le plein d’eau, j’avale calmement mes deux bananes et quelques quartiers d’orange avant de repartir pour la deuxième partie de la descente. Un accident au virage de la chapelle calme un peu mes timides ardeurs de descendeur, je me sens bien, heureux... A tel point que je ne peux m’empêcher de verser une petite larme... L’émotion d’être là, sur les lieux de mon enfance, sur «mon» plateau du Bénou, celui sur lequel coule cet «Arriu Merdé» que je remontais à pied et dans la gadoue avec mes cousins, ce plateau qui m’a pris mon nounours «Badut» malencontreusement oublié par ma cousine lors d’un retour de balade... cela fait plus de 30 ans, Cécile, il y a prescription ! Et puis il y a cette vue extraordinaire sur la vallée d’Ossau que l’on surplombe, «ma» vallée d’Ossau. Il y a aussi cette pensée pour Clément qui hier était aux urgences... les pensées se bousculent dans ma tête à cet instant là. Mais l’épingle à gauche qui me saute à la figure à la vitesse grand V me rappelle à la réalité du moment. Je serre les freins, ça passe. Je m’efforce de me concentrer pour le reste de la descente très rapide jusqu’à Bielle. La aussi une foule d’anonymes acclame d’autres anonymes qui défilent devant eux à grande vitesse au bas de la pente. Décidément, le vélo a quelque chose de spécial dans le coeur des gens. Avec d’autres, tout au long du parcours nous nous efforçons de leur rendre un peu de l’énergie que ces gens nous donnent en étant là : un salut, un merci, un sourire, des applaudissements, des tapes dans les mains des gosses qui nous la tendent. Un peu d’humanité quoi !

Après Bielle, je me sens fort car les jambes sont là et j’ai l’impression d’être sur mes terres, sur des routes que je connais parfaitement, ça aide dans ce genre de parcours. Des pelotons se forment, je suis en tête du mien et nous roulons d’autant plus vite que la route est plutôt en faux-plat. Je traverse Louvie en tête de mon groupe, un peu pour éviter la chute dans le virage du pont et aborder la côte devant, beaucoup pour m’enivrer des encouragements de la foule. C’est vraiment grisant. Du coup je monte cette côte de Louvie à un rythme élevé sur le 39*21, ceux qui la connaissent apprécieront. En haut je discute avec un gars du Loir pour qui c’est aussi une première dans les Pyrénées et qui me dit trouver le parcours exceptionnel. Dans la descente mon compteur frise le 80 et nous abordons le parcours vallonné qui nous mène à Asson où toute la famille m’attend pour un ravitaillement. Là encore les pelotons se font et se défont au grès des petits faux plats. A l’approche d’Asson, je freine un peu mes ardeurs, car il reste plus de 100km et les deux cols les plus durs à franchir.

A la sortie du virage d’Asson, après avoir fait un petit stop pour saluer les familles Lacaze et Lory et m’enquérir du sort de mes trois compères du GCP, j’aperçois les ballons de la famille Bourda, puis les sons de cloche que Caro agite frénétiquement qui précèdent de peu les «Olivier ! Olivier !» que toute la famille scande à mon arrivée, repris d’ailleurs par tous les gens alentours qui ne me connaissent pourtant pas ! Papa joue le ravitailleur, je bois, donne des nouvelles rassurantes sur mon état de forme, embrasse Clément qui attendait impatiemment son idole de papa, tente de consoler Justine qui ne comprend pas pourquoi son papa repart... Direction Ferrières, au pied du col du Soulor, deuxième grosse difficulté de la journée. Peu avant Arthez d’Asson, un panneau signale l’arrivée à 100 km... je regarde mon voisin de groupe et on se demande si ce genre de panneau est bien utile pour le moral ! En tous cas les jambes tournent toujours, même si je m’efforce de rester le plus souvent dans les roues des nombreux groupes dans lesquels je roule, à l’italienne donc.

Cette longue remontée en faux plat vers Ferrières est d’ailleurs fastidieuse du fait du profil, de la route accrocheuse mais aussi du soleil qui commence à taper fort, il est 11h passé. A Ferrières 2ème ravitaillement, le même cirque qu’au plateau du Bénou se répète. Enfin, l’ascension du Soulor commence. De ce coté, ce col est considéré comme difficile avec ses 12 km à 7% de moyenne, son 1er km très dur et une 2ème partie, à partir du 5ème km constamment entre 7 et 10%. Je fais l’ascension sur le 30, à peu près au même rythme qu’il y a 15 jours à la Hubert Arbes, mais cela me demande plus d’effort car il fait très chaud et les 90 km déjà effectués se font un peu sentir. Malgré tout je me sens bien tout au long de la montée, capable des mêmes changements de rythmes qu’au Marie-Blanque pour dépasser des gars qui ont des trajectoires un peu vagues. Là encore de nombreux cyclistes mettent pied à terre et tous les coins d’ombres sont squattés par des gars en surchauffe. Par le plus grand des hasards, je retrouve Thibault, un gars d’Anduze avec qui j’avais fait toute la fin de course à la Granite Mont Lozère il y a un mois. Visiblement il a récupéré des crampes qu’il avait alors et je décide de le laisser filer, préférant rester sur mon rythme. A deux km du sommet petit arrêt pour saluer la famille Cazet père et fils. Maurice et Phillipe étant venus assister au spectacle en grimpant le Soulor au petit matin. Le sommet est là, après un dernier km facile mais où je continue à mouliner, je fais le plein d’eau et me lance dans la descente après avoir enfilé à nouveau le coupe-vent. Je me sens encore très bien et en jambe après ces 125 premiers km.

Dans le haut je reste prudent, même si les gravillons d’il y a 15 jours ne sont plus là. Puis je me lâche un peu, en recherche de vitesse dans de belles, mais courtes portions rectilignes avant Arrens. Je ne suis pas vraiment descendeur, mais d’autres sont de véritables escargots, pires que notre Olive du GCP, c’est dire ! A Arrens je me relève et attends un groupe pour passer le long replat, puis de nouveau une belle descente vers Argeles que je passe en queue de mon groupe qui roule (très) vite. Encore la même foule et la même ferveur à nous voir passer et à nous encourager. Certains rivalisent d’imagination : on ne compte plus les pancartes encourageant «mon papa» ou «mon papi», là où d’autres font la ola ou agitent des cloches au passage des groupes, d’autres encore entonnent des chants béarnais à vous prendre aux tripes, jouent de l’accordéon ou de la vuvuzela. On verra même tout un groupe avec choristes, guitare et batterie dans la montée du Tourmalet !

Au ravito d’Argelès, je bois abondamment et rempli mes bidons que je prends bien soin cette fois de remettre à leur place et je retrouve mon anglais de la ligne de départ qui est visiblement assez entamé et me dit avoir des crampes. Quelques centaines de mètres plus loin, je retrouve les familles Lacaze et Lory au bord de la route. Je bois un coup pour la forme, dit être très bien. Benjamin me dit que j’ai gardé le même retard sur les 3 autres qu’à Asson, mais je le soupçonne d’arrondir un peu les angles pour maintenir le moral de la troupe... Je repars étonné encore de la foule de curieux et de supporters qui sont sur les trottoirs d’Argelès.

Le dernier tronçon s’annonce, qui doit nous mener jusqu’au clou de la journée. La route vers Luz, pied du col du Tourmalet est d’abord assez plane, on y roule à bonne allure, mais on sent que l’heure est à l’économie de ses forces avant la grande ascension. Je me sens très bien malgré les 150 km déjà parcourus et me retrouve à rouler seul en tête de mon groupe un long moment. Ne voulant pas emmener tout le monde et me sacrifier, je lève le pied et met le cligno à gauche, puis me place sagement en fin de peloton jusqu’à la sortie de Pierrefitte. Là, débutent les belles gorges de Luz. J’y dépasse un gardois qui a l’air de peiner en cette fin d’étape. Il me dit avoir beaucoup souffert dans le haut de Marie-Blanque. Il faut dire que ses copains lui avaient parlé d’une ascension facile en lui affirmant avec tout le soucis du détail propre aux gens du midi : «de toute façon, Marie Blanque, ce n’est même pas un col, tout juste une petite côte». Peuchère, j’imagine sa surprise dans les 3 derniers kms à plus de 11% de la côtelette... Nous voila à Luz, la foule qui nous accueille est incroyable, la chaleur commence à peser et je n’ai plus qu’un demi bidon alors que le prochain ravito est après Barèges, soit dans 7 ou 8 km d’ascension.

Virage à gauche, c’est le début de la montée du géant. Celle pour laquelle tout le monde est venu, car c’est le centenaire du passage de ce col mythique, franchi pour la 1ère fois par le tour 1910 lors d’une étape dantesque reliant Luchon à Bayonne sur 326 km de souffrance et enchaînant les cols de Peyresourde, d’Aspin, du Tourmalet, du Soulor, d’Aubisque et d’Osquish. Cette étape qui verra Lapize passer à pied le sommet du Tourmalet ne pouvant plus tourner les pédales de son Alcyon de 13kg (à vide, sans eau et sans sacoches) à roue libre, mais à développement unique de 46x24, le tout sur des chemins à peine carrossables, défoncés par les gels d’hiver, les fontes de neige du printemps et les canicules d’été. Il précède Garrigou qui lui est toujours en selle au sommet. Cette étape qui, deux cols plus tard, verra Lafourcade, un «isolé» inconnu de Bayonne qui voulait s’illustrer dans «ses» pyrénées, passer en tête au sommet de l’Aubisque, précédant Lapize, futur vainqueur de l’étape et du tour 1910, lancer aux officiels présents «assassins, vous êtes des assassins !». Cette étape enfin à laquelle Henri Desgranges, grand patron du tour d'alors, n’assista pas car rentré en catimini à Paris la veille. Peut-être car il ne pouvait pas assumer devant «ses»coureurs le tracé inhumain de cette étape assassine, dont certains craignaient encore à la veille du départ que des coureurs ne soient dévorés par des ours...

Aujourd’hui ce Tourmalet se présente devant nous beaucoup plus civilisé mais reste une des plus difficiles ascensions pyrénéennes à vélo du fait de sa longueur de 19 km mais aussi de son profil à 7,5% de moyenne ne laissant quasiment aucun répit jusqu’au sommet. Au pied, je me sens plutôt bien, mieux en tout cas qu’il y a 15 jours lors de ma 1ère ascension. La grande différence est que cette fois je sais ce qui m’attend et je sais que je l’ai déjà (bien) monté. Donc le moral est au top dans ces premières longues rampes après Luz. Le spectacle est incroyable : sur la route un ruban de cyclistes multicolores qui ondoie au grès des déhanchements et des coups de pédales de moins en moins souples, sur le bas côté à droite une file ininterrompue de gars ayant mis pied à terre et de tous les côtés une horde de camping cars garés attendant le passage du vrai tour et une foule de gens qui nous encouragent, nous proposent de nous arroser et poussent les plus zigzagants. Etonnamment je trouve un rythme assez élevé autour de 9-10 km/h ce qui me fait doubler d’autres gars en permanence et j’arrive toujours à accélérer brutalement pour dépasser les groupes les plus faibles. L’envie d’accélérer encore est là, mais je me réfrène en passant devant le panneau «sommet 15 km». La chaleur est pesante dans la traversée de Barèges mais la foule me transcende. Je n’ai plus d’eau et le ravito est encore à deux kilomètres. A la sortie de Barèges mon rythme ralentit, mais cette fois je ne m’affole pas, je sais que je suis dans une partie très dure. Des gars en sur régime sont allongés sur le bas côté, à l’ombre, certains les pieds dans le moindre ruisseau, d’autres au bord de l’épuisement remplissent leurs bidons dans ces mêmes cours d’eau, ils en seront quittes pour une bonne ch.... Ces défaillances des autres ne me rendent que plus fort : Ici c’est aussi dans la tête que cela se joue. A la station de super-Barèges, le ravitaillement en eau est enfin là. La moitié de l’ascension est faite, ça commence à sentir bon, mais désormais plus un arbre, plus un rocher pour nous abriter du soleil de plomb.

Je redémarre après avoir bu comme un trou, fait le plein d’eau et remis mes bidons sur le cadre. Petite surprise: contrairement à la Hubert Arbes, le tracé reprend l’ancienne route. Mon petit doigt peste devant tant de fourberie qui vient faire vaciller momentanément le moral d’acier qui m’habite depuis le pied. C’est le dernier round, les jambes ne tournent plus aussi bien, mais j’entrevois l’arrivée pendant que certains, au bout de ce qu’ils peuvent faire sont affalés sur l’herbe grasse de l’estive, espérant peut-être récupérer un peu de souffle ou tout simplement attendant le «corbillard».

Sommet à 6 km, La foule des camping cars et des arroseurs est toujours là, galvanisante. Je reste sur mon petit rythme mais je double toujours les autres qui sont quasiment arrêtés, comme scotchés au bitume.

Sommet à 5 km, j’alterne les phases assis sur la selle en 30x25 avec les phases dressé sur les pédales où je mets deux dents de moins. Je me concentre sur la régularité de cette alternance de rythme qui parvient à décontracter mes jambes désormais lourdes. Je guette d’hypothétiques crampes qui ne se manifestent pas.

Sommet à 4 km, bien visible désormais mais encore si loin. Le paysage est grandiose, je jette un coup d’oeil en contrebas, la route semble vivante du fait de la multitude de cyclistes qui s’y déhanchent en cadence. A ma droite un gars penché sur son cadre vomit tout ce qu'il peut dans le bas côté : la chaleur, l’effort trop intense, l’overdose de barres et de gels sucrés font leur oeuvre.

Sommet à 3 km, virage à gauche, le but est tout proche, deux lacets et c’est gagné. De nouveau l’émotion me prend à la gorge et aux tripes, me coupe le souffle. Je repense à mon fils hier à l’hôpital, aux kilomètres abattus depuis janvier, à Margaux qui a été cette année, et encore plus que d'habitude, une femme et une mère en or. Que ferais-je sans toi ma chérie ? Je souffle un grand coup et tente d'évacuer ses émotions qui m’asphyxient pour me reconcentrer sur mon pédalage.

Sommet à 2 km, dans une pente un peu plus douce je tombe quelques dents et accélère. Je retrouve le vendéen de ce matin qui coince et que je dépose après lui avoir proposé une barre ou de l'eau. La pente redevient plus raide : 8%, 9%, 10 %.

La flamme rouge est là, dernier kilomètre, la foule des spectateurs très dense nous «pousse» vers l’arrivée. Dernier virage à gauche, 400m à faire et le mur d’arrivée à 13% qui se dresse devant moi. Je me lève sur ma machine et appuie comme un damné sur les pédales en jetant mes dernières forces dans la bataille. 300m, 200m, je sprinte avec un gars. A 100m de la ligne l’émotion d’en terminer me reprend et je franchis la ligne les larmes aux yeux, complètement asphyxié.

Je regarde mon compteur : 9h03 (sans les arrêts) et 20,3 de moyenne. Je fais la descente vers La Mongie, 4 km en contrebas très prudemment bien que l'esprit ailleurs, avec un sentiment de bonheur total, de plénitude. Je retrouve mes compagnons du GCP arrivés un peu plus tôt, ainsi que les familles Lory et Lacaze qui nous auront suivi tout le long du parcours. Un grand bravo et un grand merci à eux. On échange quelques impressions, je bois un coup. Bien que marqués par notre journée, nous sommes tous visiblement et simplement heureux. Je ne m’attarde pas car Papa m’attend un peu plus bas avec Clément qui lui aussi a fait le déplacement pour retrouver son «champion» de papa. La traversée de La Mongie se fait dans une cohue indescriptible : Les cyclos et accompagnateurs de l’étape du tour croisent les supporters venus assister au passage du vrai tour dans deux jours. Je retrouve papa, Clément et Bernard avec qui je redescend, en voiture cette fois vers Pau... là aussi dans des encombrements monstres. Nous dépassons des cyclistes qui descendent à Bagnères, d'autres poussent jusqu'à Lourdes et même à Pau pour l'un d'entre eux (!) pour un raid de près de 300 km...

Quel bilan tirer de cette expérience ? D'abord ne jamais dire "fontaine je ne boirai pas de ton eau", moi qui il y a 4 ans disait à mon cousin David que jamais je ne me lancerai dans un truc pareil. Ensuite évidemment une immense satisfaction d'avoir participé, de terminer en cycliste et pas en piéton et de faire un classement honorable (3527e au temps net) pour une 1ere participation. Enfin le sentiment d'avoir participé à une cyclo peu banale avec la route fermée et un public nombreux dans une excellente ambiance. Avec le recul il me reste tout de même une pointe de regret au regard de ma bonne montée finale du Tourmalet : celle de ne pas avoir osé un peu plus, d'avoir été trop sur la réserve ... Mais qui sait, si j'avais roulé plus fort et plus tôt, peut-être aurais-je coincé dans le final ? Je crois bien qu'il me faudra recommencer l'année prochaine pour répondre à cette question ! Ce qui est sur c'est que le vélo m'a beaucoup apporté ces dernières années en terme d'équilibre entre le corps et l'esprit et qu'avec cette cyclo j'ai plus l'impression d'avoir franchi un cap que d'avoir vécu un aboutissement. A bientôt sur les routes pour d'autres aventures.

Olivier

5 commentaires:

Arnaud a dit…

Un super récit Bouba !! Un vrai plaisir de lire ton aventure.
A bientôt dans le Béarn ou au prochain stage du GCP...

Gwen a dit…

Ce qui "m'énerve" c'est qu'avec la super perf de Bouba et son temps de montée du Tourmalet il va se retrouver dans les premiers sas l'an prochain! ;-) loin devant nous!!

jr a dit…

Beau récit,pour ma part je l'ai fait en 11h12 avec les arrêts mais avec la satisfaction d'avoir terminé.Dans le nord des landes c'est tout plat et vous étiez à domicile,j'ai salué un membre du GCP qui avait l'air en grande forme car j'ai vu rapidement sa roue arriére.A bientôt sur une course"plate" que je prenne ma revanche.
jr

CADel a dit…

Superbe récit !
On s’y retrouve bien (les supporters familiaux en moins).
Vous avez une région splendide !!
J’ai commencé le vélo en août l’année dernière, et mon premier col a été Hautacam, le vendredi juste avant l’EDT.
Depuis, je suis accros !
Je l’ai fait en 10h57. Pour un premier EDT j’ai trouvé ce parcours tout simplement magnifique.
Je suis d’accord aussi sur le fait d’essayer de moins s’économiser l’an prochain.
Rdv dans les Alpes…

Bravo encore pour le joli coup de plume.

CADel

Franck BOULITEAU a dit…

Très bonne restitution. Pour avoir participé, je retrouve des sensations de ce grand moment.
RV peut être en 2011 dans les Alpes où devrait avoir lieu la prochaine étape

Calimero
http://www.gleize-cyclo-club.fr/denisetfranck/

L'Equipe.fr Actu Cyclisme